mercredi 4 avril 2018

Projet Videcoq, Le Havre, une catastrophe dans un site classé.

Les bras m'en tombent ! 
Un ami havrais, vrai amateur de sa ville (et exilé devant la catastrophe annoncée) me signale ce projet de tour par l'agence Harmonic+Masson. Je décide, stupéfait par les argumentations commerciales des architectes de faire la lecture avec vous. Ce projet est l'archétype du fonctionnement entre les promoteurs et les municipalités, mêlant programme municipal et programme privé. Il est aussi le témoin de la déliquescence d'une politique culturelle dans une ville pourtant inscrite au Patrimoine Mondial par l'Unesco. Ratage grave de la "réhabilitation" du Volcan, éradication de certains éléments architecturaux jugés secondaires (plage), gestion désastreuse des emprises des boutiques sur l'architecture (voyez les restaurants autour du Volcan : une honte), Sculptures monumentales abandonnées, partout les signes d'un virage qui ne laisse maintenant plus de doute sur les options politiques : utiliser le label Patrimoine Mondial de l'Unesco pour fabriquer une gentrification urbaine visant à changer la population de la ville, faire de celle-ci une sorte de parc à bourgeois arty, vivant dans un décor et auxquels on servira la plus-value immobilière d'un site classé. On appelle cela comment, d'après vous ?

En noir la publicité de Harmonic+Masson, en rouge mon caviardage : 


Projet Videcoq, Le Havre : Un état d’esprit Oui, on va rire !
Surplombant le Bassin du Roy et celui du Commerce, au cœur du centre reconstruit d’Auguste Perret donc un secteur qui devrait être protégé dans ses échelles, à proximité du Volcan de Niemeyer et dialoguant là, le verbe dialoguer veut dire écraser  avec les monuments de la ville que sont l’Hôtel de Ville et l’Église Saint-Joseph, le projet Videcoq s’inscrit dans une histoire où l’aventure architecturale on voit bien comment avec le mot aventure on tente de donner le change et de faire croire que le Havre serait une terre d'expériences toujours ouverte. Or, de fait, par son classement au Patrimoine Mondial par L'Unesco, elle ne l'est plus. Chaque geste devrait maintenant justement ne plus être aventureux mais respectueux... a fabriqué et identifié Le Havre comme une cité à part. Révélant et comment je vous prie ? les spécificités de ce contexte, il est un trait d’union entre deux territoires allant l’un vers l’autre, l’un avec l’autre : la ville et la mer. Blabla pseudo-poétique du contexte, en première année je leur interdis ce verbiage Son écriture architecturale à l’expressivité affirmée, tu m'étonnes, depuis Minangoy à Villeneuve-Loubet on n'ose plus ce genre d'expressivité... vient l’inscrire comme une nouvelle pièce de la skyline là, je pouffe, la skyline du Havre... C'est respecter la ville basse de Perret seulement débordée par son seul phare : Saint Joseph. Même Niemeyer l'avait compris en tronquant à la bonne hauteur sa Maison de la Culture ! de la ville-port.
La parcelle se situe à un point nodal avant on disait carrefour mais point nodal ça pète de l’histoire de la reconstruction du Havre et de ses formes bâties. Cette position stratégique pour des promoteurs surtout, à l’articulation des deux trames urbaines du plan général proposé par Perret, confère au bâtiment un caractère et une géométrie singulière Ah ? En quoi ?. Bénéficiant d’une grande visibilité et d’une vue exceptionnelle sur les bassins, il permet d’offrir une vision d’échelles variées aux habitants alentours, ainsi que des lieux diversifiés pour les résidents. Jouant sur l’idée de mouvement franchement..., d’arrière-plan, de multiplicité, sa volumétrie accompagne les différentes échelles de quoi ? dans un jeu d’épannelage. Le maillage en béton vient enlacer le verbe... Enlacer... Poésie quand tu nous tiens le corps du bâtiment accentuant la vrille et la torsion qui accompagne sa transformation ascensionnelle Ah ah ah ah Non arrêtez ! je n'en peux plus.... Un gros machin qui tourne n'est pas une ascension. Reprenez votre dessin, tout le monde n'est pas Calatrava à Malmö avec sa Turning Torso !
Vivre ici, c’est comprendre et apprendre la ville qui nous entoure vous l'entendez le ton mielleux ? On dirait du Séguéla. Ba... c'est raté. Apprécier l’ampleur et la richesse du tissu urbain que constitue ce site exceptionnel. Les habitants seront conscients non mais quoi ? Pardon ??, non seulement du patrimoine de la ville qui se déroule sous leurs yeux, mais surtout des possibilités extraordinaires de ce territoire élargi. en dégradant les échelles des îlots  et les perspectives !!!!
À la fois émergence et bâtiment signal signal de quoi ? On sait ce que cela veut dire la gratuité d'un geste en architecture, on sait ce que ça cache !, le projet Videcoq présente aussi une ambition de singularité de chaque logement. Le plan libre des étages permet de configurer les typologies « à la demande » Oooohhhh quelle chance ! C'est sans aucun doute un hommage vibrant à Corbu La personnalisation de son futur logement est ainsi possible dès la conception. Relisez Renée Gailhoustet ! La question du logement est ici porteuse de valeurs d’usages, de diversité typologique, de dynamisme et d’optimisme. Mais que lisez-vous pour pondre de pareils arguments de communication ? Embrassant l’avenir avec ambition trop marrant et touchant le bâtiment sera un démonstrateur de l’habitat vertical en milieu urbain. Il démontre le jeu des promoteurs qui  s'appuient sur un Label pour justifier d'une pseudo-modernité ringarde depuis longtemps.
Rares les occasions de se confronter à un sujet d’une telle force symbolique. Heureusement que c'est rare ! Quoique la France est en train de se couvrir de cette typologie d'immeubles faussement modernes vendus avec les arguments de la pub. A l’heure de « Réinventer Paris », « Inventons la Métropole du Grand Paris », « Réinventer la Seine », et autres, ce projet pose avant tout la question de notre rapport à l’Histoire, à notre histoire, et notre patrimoine. L’invention ici s’inscrit dans une continuité historique faux, absolument faux, non pas d’un style ou d’un dogme ben voyons, Perret c'est un dogme et l'histoire on la tord à loisir..., mais d’un état d’esprit. On devine d'où il vient cet esprit et on comprend le petit signe politique envoyé  Le Havre c’est Perret, Niemeyer, mais avant tout, c’est l’esprit de la modernité, d’une aventure architecturale à la dimension de son histoire originelle : une ville construite pour partir à la découverte de nouveaux territoires.  

Quel ramassis pseudo-philosophique sur la ville ! Quel mépris pour l'histoire ! Quel ambition jouée sur le dos des leçons de l'histoire ! Ils osent tout même de croire qu'ils prolongent l'histoire alors qu'ils en détruisent les axes, les échelles avec la démagogie permanente. La seule leçon architecturale apprise est celle de la communication, une fois encore. Rien, absolument rien dans ce projet n'est moderne ou même moderniste, rien ne rend hommage ou tente l'écart affirmé (là, Niemeyer avait réussi), rien ne parle de l'avenir de l'Architecture, rien n'y est audacieux que sa hauteur écrasante. Voyez comment le dessin de la couronne en haut de l'immeuble est totalement ridicule ! Vouloir faire signal est toujours le signal d'une mauvaise architecture. Ce genre de construction pseudo-moderne existe partout, partout, partout. Un coup ça tourne, un coup c'est fractal, un coup c'est coloré, un coup c'est biscornu, un coup c'est des garde-corps découpés au laser (Voyez Nantes qui en est bourrée)... Aucune réflexion nouvelle sur l'habitat (laissé libre voilà l'argument...) aucune réflexion nouvelle sur le collage urbain, sur les articulations à la ville, sur l'engagement de l'histoire. On fait semblant, on habille avec une philosophie mal apprise qui flattera le politique... et le client...
Et pourtant elle tourne, cette future tour, elle tourne sur elle-même épuisée d'autant de ratages. Elle sera bien le signal de l'éradication du Patrimoine de cette ville qui tente de faire venir en son cœur une gentrification qui s'appuie sur le Patrimoine pour prouver sa légitimité politique à en changer le contexte social et urbain. C'est le seul enjeu de ce projet. C'est une vraie collaboration entre le promoteur et le politique. C'est donc un acte politique, pas architectural. Comme pour Nanterre et ses Tours-Nuages, comme pour la Tour Montparnasse... Partout cette forfanterie.

Je vous conseille d'aller lire aussi l'article de Natalie Desse dans Ouest-France, véritable exemple de complicité attendrie à l'acte architectural et politique. L'article ne prend pas en charge les oppositions, ne réfléchit pas à la portée urbaine de ce projet et ne fait que reprendre les arguments des soutiens du projet. Aucune position des responsables patrimoniaux n'est invoquée. Personne pour en contredire le choix. Madame Desse se réjouit béatement de la belle nouvelle tour moderne. C'est hallucinant ! On dirait que c'est l'agence elle-même qui a écrit l'article... Mais qui sont ces gens ? Comment en arrive-t-on là, sans travail, sans tentative d'entendre d'autres voix et en se laissant berner par les arguments, à confondre information et promotion ? 
On notera que l'agence se targue sur son site d'avoir obtenu "la Pyramide d’or du Prix de l’esthétique immobilière de la Fédération des promoteurs immobiliers." Il y a des récompenses dont il vaudrait mieux ne pas se réjouir. On applaudit à deux mains devant autant de... qualités...
Ce dessin me fait pouffer de rire ainsi que mes étudiants qui n'oseraient pas eux, une telle entourloupe :




Les petites flèches pour argumenter la verticalité de la tour en comparaison de celle du Volcan sont absolument pathétiques, surtout quand on sait à quel point Niemeyer a justement retenu sa verticale pour laisser Saint-Joseph, monter seule dans le ciel du Havre. On appelle cela une leçon d'architecture et d'urbanisme. Une leçon bien mal apprise par les auteurs de cette tour Videcoq.
Alors que faire, que dire ? Comment encore et encore user son énergie devant un tel état de l'architecture en France, un tel abandon de ses paysages quand, même les sites protégés, sont ainsi gérés ? Pourquoi la France a ainsi perdu sa force ? Pourquoi ?
On en arrive à regretter la Vigie de Monsieur Nouvel, gracile, hautaine et donc joyeuse. Elle avait le mérite d'être ambitieuse à sa force, à son idée. Elle était architecture, ayant compris la poésie des grues du port. Elle n'était pas un geste, elle était compréhension, respect car audace. 
Tout cela, Harmonic+Masson n'y ont pas cru. Ils ont joué, parié sur l'attente du politique. Ils ont cru gagner ce que Le Havre a maintenant perdu : le génie d'un lieu.

Pour juger par vous-même :
http://www.hamonic-masson.com/Projet-Videcoq-Le-Havre

Signez la pétition :
https://www.petitions24.net/petition_contre_le_projet_de_la_tour_videcoq#sign 


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