jeudi 25 mai 2017

Les frères et leur ciment superblanc



Sous les pilotis, le long du fleuve, Jean-Michel Lestrade avait garé sa voiture. Il avait dû abaisser le pare-soleil tant la lumière sur le ciment superblanc était éblouissante. Mais sous l'ombre des pilotis, il dut, pour faire sa manœuvre, le relever.
Il n'avait dit à personne qu'il viendrait. Il faisait souvent comme ça pour ses contrôles. Il aimait être seul ou parfois simplement accompagné d'un des ouvriers-maçons ou de l'un des coffreurs. Il sortit les plans, surtout ceux de l'escalier car on l'avait appelé pour un problème de raccord sur le sol, la première marche était fissurée et surtout ne touchait pas le sol. Il n'avait d'abord pas bien compris en quoi ce détail le concernait directement mais il avait gentiment répondu qu'il irait voir.



















D'abord, Jean-Michel resta admiratif de la construction, typique de ce genre de machine qu'il aimait à travailler. À la fois pleinement inscrite dans le mouvement moderne, efficace à son rôle, sans concession à son usage ni à ses formes mais délicate, affirmée dans le paysage et offrant des lignes franches, directes, dont l'escalier très sculptural donnait depuis le point de vue des quais toute la force.
Les architectes de la Maison de la Batellerie, les frères Arsène-Henry avaient donné beaucoup de travail à Jean-Michel. Il y avait entre l'agence des architectes et l'ingénieur un respect mutuel sans effusion, tout en retenue professionnelle, une confiance que Jean-Michel aimait beaucoup. Ici, comptaient le travail, le résultat, et les idées étaient toujours les bienvenues si elles servaient le projet architectural. Un jour, les Frères Arsène-Henry demandèrent à Jean-Michel quel pourrait être le bon sens de pose des planches de banchage sachant que le résultat serait lisible sur cette blancheur du ciment superblanc. Saisissant deux planches, les faisant jouer sous le soleil du chantier, cherchant comment l'ombre des raccords viendrait surligner le dessin, Jean-Michel donna son avis qui fut, immédiatement approuvé par les architectes.
























La main de Jean-Michel passa sur ce ciment rugueux. Le petit bourrelet de ciment poussé par la pression entre les deux planches maintenant moulées avait une délicatesse de couture ou de cicatrice. L'ingénieur se mit au travail, mesura les marches, regarda le sol, passa en effet de manière inquiétante sa main sous la première marche faisant fuir une araignée qui y avait trouvé refuge. L'ingénieur se recula, se gratta la tête et reprit son plan. Il n'y avait pas à proprement parler d'erreur architecturale mais le sol, un peu trop travaillé, avait laissé couler sa matière sous le béton. Un petit raccord et tout rentrerait dans l'ordre. Jean-Michel passera un coup de fil aux architectes ce soir.

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- Ah ! Merde ! Pardon Walid ! Si, je le savais que c'était détruit, j'aurais pu t'éviter ce déplacement !
- Ba, c'est pas grave David parce que le nouveau silo il est pas mal non plu.
- Oui, c'est vrai. Bon, excuse-moi encore... Et pour la Maison de la Batellerie ? Des infos ?
- Oui, c'est toujours debout. Facile à trouver. Ça n'a pas beaucoup bougé sauf une ouverture supplémentaire sur le côté. Ça reste superbe et quel emplacement ! La vache, beau site de travail ! Et on peut toujours passer dessous, trop cool !
- Vraiment ? J'irai voir sur Google Earth. Vous avez pu faire des photos ?
- Ouais, enfin pas de trop, on s'est encore fait emmerder. On ira un dimanche matin. On sera tranquille. Jean-Jean a essayé d'organiser un vrai rendez-vous, on attend la réponse. Il rappelle les responsables demain.
- Parfait les gars. C'est un beau bâtiment pour lequel Lestrade a beaucoup travaillé. Il faut pouvoir le montrer lors de l'expo. Le béton est en bon état ?
- Ouais, super état, repris récemment je crois. Bon, par contre on fait quoi pour les silos disparus ? On oublie ? Ou...
- Non ! On piquera l'image dans le guide Paris Construit de Ionel Schein ou celui de Dominique Amouroux.
- Je vais les scanner alors. Bon, David, je dois partir, y a Jean qui m'attend à l'école.
- Ok, ok mon gars, bonne journée à tous les deux. Oh... Euh... Walid, tu sauras où trouver le guide dans l'agence ? Sous l'escalier, à gauche, troisième étagère !
- Ah ! Ok ! Ok ! Je trouverai. Merci. La bise.
- La bise.








































Par ordre d'apparitions :
-carte postale publicitaire pour le ciment superblanc Demarle Lonquety et la Société des Ciments Français, Entreprise Castagnetti et Caillez. Fonds Jean-Michel Lestrade.
-Paris construit, Ionel Schein
-Guide d'architecture contemporaine en France,  Messieurs Amouroux, Crettol et Monnet, notre bible.
Merci de ne pas copier ces documents sans l'autorisation de la Famille Lestrade.






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