dimanche 10 août 2014

Une vieille amie retrouvée

Dans le fond, je crois que ma collection de cartes postales n'a qu'un seul objectif : aimer aller voir. Je pourrais aussi écrire : aimer, aller, voir.
Et, là, dans un classeur "Vatican 2", est rangée depuis des années une carte postale d'une église à Audinghen :



J'ai regardé cette carte souvent, en détail, rêvant à la possibilité d'aller un jour voir ce lieu de culte si marqué par les choix esthétiques de son époque, presque une typologie  d'une architecture de la Reconstruction.
Un campanile fait toute la force signalétique de l'église comme, après tout, toutes les églises mais ici annonçant franchement sa modernité par son élan, son ouverture, sa légèreté. Deux pentes se brisent annonçant le creux de l'entrée et le baptistère rejeté à l'extérieur donne à sa fonction toute l'attention qu'il mérite. Encore hors de l'église des chrétiens, le baptisé y est pourtant dans la transparence bleutée de ses murs accueilli.
La carte postale est une édition Artaud et ne donne pas le nom de l'architecte.
Mais, alors que je conduis la Twingo sur les routes vallonnées, que je tourne mon regard dans le paysage, soudain je la reconnais.
Je reconnais.
Je reconnais la silhouette familière, je vois la ligne courbe et immédiatement une émotion soudaine et profonde surgit. Être enfin dans une image, être enfin dans le réel de son échelle, la familiarité reconnue, aimée, jubilatoire de l'image.
Quelle est donc cette émotion presque naïve à sentir ainsi que l'on RENCONTRE l'architecture ?
Pourtant (et surtout) l'église d'Audinghen est modeste. Une belle petite pépite pleine de détails subtils, un plan simple mais qui accueille et guide et réserve une surprise. D'abord le grand mur avec les écritures en couleur nous reçoit sous un dais de béton, abri simple. Puis on pénètre dans le sombre de la nef, très dépouillée presque triste mais bien vite celui qui avance vers l'autel sent au-dessus de lui une lumière soudaine éclairer le volume et la fresque derrière l'autel prend toute sa largeur. De chaque côté, sont disposés d'immenses vitraux, pans de couleurs vives comme des découpages de Matisse dont la fabrication étrange sera comprise par l'extérieur plus tard. Les plaques de verres sont en effet posées et plaquées contre les trouées, les découpes du dessin. Superbe franchise constructive, vrai brutalisme religieux. Une merveille de dispositif architectural qui donne à la fonction d'image interne un écho abstrait à l'extérieur. Comment faire plus radical !
Alors si l'Art Sacré n'y est pas d'une exceptionnelle richesse, si rien dans les matériaux ne chante ni le luxe, ni le rare, cette église est une vraie machine modeste dont l'essentiel tient à l'émotion de sa pauvreté recherchée. Le jeu simple des briques de ses murs dessinant des croix en multitude, les percées arrosées de couleurs vives, le bleu partout du baptistère venant vous baigner, le campanile dessiné d'un geste ample, tout cela respire une incroyable attention simple : celle du pain sur la table.
Dans l'église même, je trouve des cartes postales en vente.



Sur cette édition Mage, l'éditeur nous donne le nom de l'architecte : A. Colladant. le photographe en arrière de la clôture nous montre l'église Saint-Pierre presque perdue dans le cimetière dont seul le campanile forme verticale. Par contre, on perçoit bien la lanterne sur la pente qui vient distribuer la lumière. Pour photographier à la fois la verticale du campanile et la forme allongée de l'église... il faut du recul et on perd donc aussi la lisibilité de l'architecture !



Cette vue du ciel est une carte postale bien plus récente du moins dans son tirage. Cette carte postale en héliocolor nous permet de voir le dessin du plan et ses articulations autour du baptistère et du campanile.



Encore chez Mage édition, cette carte postale nous permet de nous rendre compte du travail remarquable de la brique. Le grand mur aveugle de l'autel alterne croix et niches alors que les murs du côté alternent croix et niches percées cette fois et colorées d'un verre. Rien à dire devant cette belle radicalité mettant toute la force dans le matériau et dans le plaisir optique de cette répétition. La courbe légère finit le travail d'écran protecteur à la Foi.
L'architecte Colladant est bien nommé.



Enfin, voici une carte postale de l'un des vitraux du chœur. Difficile donc de ne pas y voir l'influence matissienne dans le découpage des formes colorées et dans le choix des couleurs.
Je vous offre quelques photographies faites par votre serviteur il y a peu. L'église Saint-Pierre restera pour moi l'un des exemples remarquables d'une architecture juste parce que simple et d'un rendez-vous amoureux réussi avec une image et le réel.

































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