lundi 23 décembre 2013

Une architecture de l'échouage.

On sait comment Le Corbusier aimait les cabines du paquebot Flandre comme exemple parfait d'une architecture minimum dans ses aménagements intérieurs, comme une forme solide de contraintes produisant la nécessité d'une économie de moyens posée au milieu des éléments naturels.
Mais il serait aisé aussi de dire que ces fameuses cabines de voyage avaient su dans les années 20 et 30 atteindre, pour certaines classes, une apogée décorative dont la simplicité était un peu... encombrée. Le paquebot était même devenu l'expérience ultime du luxe et du confort dont le dernier aboutissement en France fut... Le France.
Il ne fait aucun doute que la construction navale dans ses techniques, ses solutions, ses contraintes et même son vocabulaire (charpente) a beaucoup à voir avec l'architecture terrestre ! Mais si on a vite fait de parler d'échange entre les deux pratiques il est assez drôle d'évoquer des glissements un rien radicaux comme nous allons nous amuser à en voir aujourd'hui.
On pourrait commencer par le plus simple... l'échouage !
Poser sur la terre, sur la grève, un bateau et le fixer à jamais est une solution simple et radicale. C'est celle du Lydia à Port Barcarès, navire qui est venu apporter sur la plage de la nouvelle station balnéaire une sorte de ready-made architectural. La présence de ce navire sur cette plage évoquant l'accident maritime suite à une tempête ou même le débarquement militaire est ici, je crois, de la part de Georges Candilis une forme d'humour des plus déjantée. Faire jouer l'une contre l'autre, deux types d'architectures radicales est bien une pirouette du sens. Reste que la présence de ce Lydia sur la plage est une vraie expérience architecturale, une forme incroyable, une expérience inédite de saisir ainsi une masse construite dont d'habitude nous ignorons l'ampleur. Le Lydia est un bâtiment sans jeu de mot. C'est aussi le spectacle absolu car injustifié à ses fonctions.
On le voit ici, échoué, sur sa plage :





La carte postale Estel nous montre la Sardane de Georges Candilis et au fond le bateau qui semble bien petit. Pour aller de l'un à l'autre, il y a l'Allée des Arts qui aujourd'hui manque vraiment encore d'un vrai entretien et de respect pour les œuvres, certaines ayant même totalement disparu !
Mais entrons à l'intérieur du Lydia grâce à deux cartes postales offertes par Clément Cividino (merci Clément !) Les deux cartes postales sont des éditions et des clichés de Paul Goudin. Sur la première cest le "Trunk-Club" et sur la seconde le bar de la "Cambuse"...




J'avoue beaucoup aimer les belles tables massives et les bancs idoines du bar ! Ça c'est du solide !
On remarquera aussi le beau traitement des murs et des plafonds. Qui avait décoré tout cela ?
Mais parfois il arrive aussi cela :



Oui ! Surprenant ! Et sans doute aussi ultime aboutissement du style Paquebot qui lui-même est comme le dernier avatar du style Art-Déco !
Faire ainsi en architecture Image est assez rare ! On ne sait plus qui fait référence à l'autre !
On devine aussi ici, une architecture légère, drôle amusée d'elle-même. Mais j'avoue que pour ma part, j'aurais bien volontiers tourné la proue du navire vers l'intérieur en lui donnant l'impression de s'encastrer violemment dans les rochers ! Le Navirotel porte bien son nom mais reste muet sur son attribution d'architecte ou d'inventeur. Il date des années trente et demeure aujourd'hui une belle énigme, une belle expérience.
Et si tout n'est que décor, cela n'en demeure pas moins un objet architectural qui prend appui dans son paysage, certes ici, le paysage est plus surréaliste que De Stijl mais les rêves même les plus fous, quand ils ne tournent pas au cauchemar savent atteindre une poésie dont on ne peut se priver.
Mais l'expérience ultime restera une utopie, c'est celle de Hans Hollein :



Dans l'un de ses fameux photomontages, l'architecte, l'artiste propose simplement de poser un porte-avion dans la campagne : Aircraft-Carrier-City Entreprise en 1964.
Cette image fameuse et connue des extrémités utopistes est pourtant une forme de réalisme. Si l'on pousse l'absolu de la rationalité pourquoi ne pas aller jusqu'au modèle militaire de cette rationalité ? Pourquoi ce qui opère comme des qualités dans un domaine (utopie idéalisée de la Charte d'Athènes) ne pourrait se resserrer dans l'expérience même de ce collage ? Après tout...
Mais Dominique Rouillard dans son excellent ouvrage Superarchitecture donne à lire l'exact de cette expérience et nous donne les clefs d'une confusion possible :



Mais le cinéma reste toujours le plus fort. Il est l'art du possible surtout quand c'est Monsieur Steven Spielberg qui régale. Dans Rencontres du Troisième Type, le réalisateur nous met au défi de l'image de Hans Hollein et pose dans les premières minutes un navire entier échoué au milieu du désert. Il fait d'une pierre deux coups. Il raconte l'Arche de Noé dans une prémonition de la mer d'Aral disparue. Il fait surtout du rêve d'Hollein une réalité. Et si, Rencontres du Troisième Type est l'un des plus beaux films sur ce qu'est l'acte créateur et l'emprise sur ses sujets, il est aussi finalement l'un des plus beaux moyens de voir, c'est-à-dire de vivre, les rêves des utopistes les plus fous et donc aussi les plus clairvoyants.



1 commentaire:

  1. LE LYDIA. Construit au Danemark, le MOONTA paquebot classique des années 30, est lancé en juin 1931. Jusqu'en 1955 il effectue des croisières dans les eaux australiennes. Il est revendu à la compagnie grecque "Hellenic mediterranean lines" qui double la capacité en passagers, de 140 à 280 places. Affecté à la ligne Beyrouth-Marseille il s'appelle alors "Lydia". Désarmé en 1967, il est revendu à la SEMETA. Son président, Gaston Pams, cherchait un symbole fort pour marquer la naissance des futures stations balnéaires de Port -Barcarès et de Port- Leucate. Le LYDIA le bateau ensablé.

    RépondreSupprimer