lundi 14 octobre 2013

Le monolithe et le fauteuil orange



Cela faisait bien déjà une demi-heure que Sébastien regardait consciencieusement les photographies noir et blanc des bédouins sur le mur. Il n'osait pas faire signe de nouveau à la secrétaire du Foyer International d'accueil de Paris la Défense qui lui avait dit de s'asseoir dans les fauteuils orange vif du hall d'accueil qu'il trouva moderne comme un vaisseau spatial. Il commençait à connaître les photographies centimètre-carré par centimètre-carré et n'avait pas réussi à comprendre leur rôle ni dénicher leur auteur. Il était venu là, suite à un projet de film qui devait se tourner le semestre prochain. Le projet était mystérieux et on lui avait bien dit de garder le secret sur tous les détails. Le On en question était Jean-François un ami d'enfance qui aujourd'hui faisait des décors pour le cinéma. Jean-François avait pensé que Sébastien ferait l'affaire pour certaines parties du film où des singes devaient intervenir. Sébastien n'était pas dresseur d'animaux mais excellait dans la pantomime et depuis longtemps il faisait l'amusement de sa famille et de son public dans des jeux alliant costumes, mimiques et imitations de tous... poils !
Il fallait pour le film, imiter des singes ou plus précisément des ancêtres des humains. C'était bien mystérieux pour Sébastien qui commençait à regretter d'avoir pris autant de temps pour sans doute rien de plus qu'un rendez-vous raté dans une tour de la Défense dont d'ailleurs il avait eu du mal à trouver l'entrée avec sa Renault 4 si au dernier moment, il n'avait pas vu la direction Boieldieu sur une pancarte verte.



Il gardait entre ses genoux serrés des images de lui lors de ses spectacles et dans sa tête l'image de ces immeubles noirs et sombres comme des monolithes étranges. La Tour du Crédit Lyonnais semblait émettre une sorte de sonorité sourde qui résonnait encore dans les oreilles de Sébastien comme un acouphène.
Il faillit ne pas entendre la voix qui l'appelait pour son rendez-vous. Une voix elle aussi étrangement sourde poussée par un petit homme barbu et chevelu aux yeux globuleux comme des billes. Sébastien compris dans cette seconde que l'homme avait déjà émis un jugement sur sa personne. C'était à la fois désagréable et puissant. Sans doute que l'accent anglais du personnage n'était pas pour rien dans cette froideur distanciée.
Sébastien donna tout. Il sauta, courut à quatre pattes, s'accrocha à la porte, se balança sur le porte-manteau en criant comme un vrai chimpanzé. Il dut même s'excuser d'avoir bavé sur des documents posés sur le bureau mais, là où Sébastien croyait en avoir trop fait, il entendait le rire de l'homme barbu et de la secrétaire.
"Come on come on great great I like it, yes !"
L'homme que Sébastien compris être le réalisateur l'encourageait.
Épuisé, en sueur, la secrétaire lui demanda son âge, sa taille, son poids, ses disponibilités. On lui fit signer un document de confidentialité pour ne pas ébruiter ce qu'il venait de faire et sans autre formalité on le mit dehors. Il sentit pourtant dans son dos la petite claque amicale du barbu réalisateur.



Sur le parvis, dans le ciel bleu, il vit alors le soleil faire un coup d'éclat en haut de la Tour. Il décida de le prendre comme un signe positif de sa future odyssée cinématographique.
Il reçut trois mois plus tard un billet pour Londres. Le tournage allait pouvoir commencer, et bien mieux que toute l'effervescence de ce tournage ce qui le ravissait le plus c'était la perspective de revoir Jean-François et de lui parler du monolithe et du fauteuil orange dans un vaisseau spatial.

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