mardi 2 juillet 2013

Ma quête

Ce qu'il y a de bien avec les maquettes, c'est que bien souvent elles nous proposent dans le même moment, une idée de la construction comme à son apogée et aussi comme une totale interprétation. Elles sont finalement aussi des représentations délirantes, précises et inventives dont on doit à la fois aimer la capacité de projection dans le futur de la réalisation et se méfier d'une forme de séduction.
Nous avons sur les deux volumes de ce blog vu une multitude de maquettes d'architecture et notamment d'églises dont les cartes postales reprenant par la photographie ces objets tentent d'en proposer une image servant à garantir par le soutien financier la construction.
Mais regardons celle-ci :



Les spécialistes de l'architecture et les amateurs éclairés auront reconnu l'objet sans trop de difficulté. Pourtant ainsi photographié, cet objet architectural dans la sécheresse superbe de sa représentation en maquette à laquelle le noir et blanc ajoute dureté, contraste et pureté, nous dit bien que nous pourrions avoir sous les yeux un autre type de construction.
En ne montrant que les volumes aveugles, en donnant à la matière de la construction une unité, en lissant les défauts, en posant la construction sur un sol tout aussi abstrait, nous pourrions bien viser une construction brutaliste. Et c'est bien en quelque sorte devant cela que nous sommes...
Comment ne pas aussi penser à un agencement formel utile d'abord à sa fonction, mettant en avant sa technicité un peu comme une forme déterminée par le Génie Civil ? Une centrale nucléaire ? Un ensemble de silos à grain ? Une usine à béton ?



Mais notre culture pose assez vite sur ce plan en croix l'idée d'une œuvre d'art sacré. C'est bien de cela qu'il s'agit puisque nous sommes devant la maquette de la Grande Abbatiale de St-Hugues construite de 1080 et 1225 à Cluny et aujourd'hui en grande partie disparue.
Et la puissance romane ici dit bien que le répertoire des formes, la jubilation de leur simplicité constructive et du génie de leur mise en relation, forment un ensemble dont la comparaison avec certains des aspects du brutalisme historique est valide. Allez revoir ça par exemple.
Comment ne pas jubiler de ce rapprochement certes d'images, certes de représentations mais qui dit bien que l'histoire des formes n'est pas une histoire tendue comme un câble mais une nébuleuse poudrée dont nous possédons en nous une partie que nous faisons jouer. De la poudre aux yeux en quelque sorte.
Et voyons cela :



Il vous sera sans doute difficile de ne pas re-connaître ce que vous voyez parce que justement la forme mentale se projette sur la forme montrée.
Pourtant là aussi, ce que nous faisons aujourd'hui, il fut un moment où nous ne pouvions le faire simplement parce que cette forme n'était pas inscrite dans le réel.
Il fallait pour tous... interpréter depuis cette forme.
Interpréter la maquette comme une forme réelle, l'appréhender en se jouant en accord avec elle des effets de réalisme et les errements dus au changement d'échelle, aux possibles transformations après la construction. Aujourd'hui, simplement, il ne viendrait à l'idée de personne, pour faire voir Ronchamp, d'en montrer une maquette plutôt qu'une photographie du réel du lieu... Et petit rappel pour ceux qui voudraient comparer le réel construit et cette maquette. On y trouve bien des différences sur lesquelles notre idée de Ronchamp passe sans sourciller.

éditions Société Immobilière ND du Haut, 1971.

Mais sentez-vous sur la maquette photographiée la matière désagréable dans laquelle elle semble construite, l'effet tranche de mortadelle ?
Sentez-vous la mollesse complète de son toit qui semble avoir vraiment besoin de son pilier en manche à balai pour le soutenir ? Sentez-vous la forêt qui l'entoure comme une forêt de broccoli ? Voyez-vous les percées du mur comme creusées à la pointe du couteau de cuisine ?





L'œil attentif glissera aussi sur une retouche du négatif ayant effacé une croix posée devant.
Et... comme il est aisé (culturel ?) de voir une construction à la fois depuis le ciel et à la fois d'un peu loin. Comme si le saisissement d'une forme architecturale devait toujours passer par le surplomb éloigné et non par l'imaginaire du piéton sur le sol. Car qui aborde l'architecture par le ciel ? Qui voit Ronchamp par le haut ? Qui en connaît le dessin complexe du toit par les airs ? Eux...?
Il faudra ainsi interroger cette question superbe de la représentation d'un objet par un point de vue rare au lieu de privilégier celui immédiat et naturel d'un homme debout à ses pieds. Est-ce que les constructeurs de Cluny faisaient des maquettes de bois ? Avaient-ils simplement un sens mental de la projection spatiale leur permettant par leur calcul et leur culture des formes de se passer de représentation, donc en quelque sorte se contenter d'un songe du bâtiment ?
Comment Le Corbusier faisait-il tourner les formes dans sa tête ? Comment articulait-il les volumes ? Il sculptait moins qu'il ne dessinait.
Ce moment particulier où la forme quitte le mou cérébral mais si précis et imaginé d'un désir pour rejoindre la réalité de la construction et donc du partage est un moment singulier, complexe et donc toujours rétif à la représentation.
Les cartes postales nous permettent de croire en la similitude de cette question sur des objets pourtant fort éloignés dans le temps. Elles nous permettent de croire aussi que représenter est bien aussi un acte culturel.
On pourrait dire que la carte postale photographique de maquette d'architecture est comme une addition : maquette + photographie + carte postale = triple représentation.

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