vendredi 5 juillet 2013

Faire école


Josiane avait été pendant toute sa scolarité une élève studieuse et appliquée.
Elle faisait de ses parents agriculteurs la fierté car, malgré la pauvreté de la famille sans doute un peu trop nombreuse, elle avait pu faire tout de même des études.
Josiane aimait se rappeler quand elle revenait à la ferme que le coin de la table en chêne le plus proche du poêle à bois était son bureau comme disait son père. Elle réussissait ce tour de force, jeune adolescente, de se construire ainsi au milieu de la grande pièce unique, dans le brouhaha de la vie de famille, une sorte de territoire à elle, un minuscule pays dont les frontières tenaient dans sa coudée sur la toile cirée aux motifs de chasse.
Elle pouvait ainsi rapidement aider sa mère, surveiller le petit frère et même voir arriver le facteur dont elle attendait toujours, pour une raison inconnu, la venue avec fébrilité. C'est vrai que c'était toujours ce facteur qui apportait des nouvelles bonnes ou mauvaises du frère parti en Indochine faire une vie un rien chaotique.
Là, dans son espace à elle, Josiane révisait, lisait des romans et surtout le journal à son père le soir pendant que celui-ci prenait sa soupe. Elle lisait à voix haute, claire et distincte, cherchant dans le Petit Larousse illustré les pays inconnus, les mots étranges et s'émerveillant avec son père des vignettes dans les marges et des cartes en couleur. Le Petit Larousse était son autre monde.
L'autre livre que lisait aussi Josiane était bien particulier. Elle aimait avec sa mère cette fois, plonger dans le catalogue Manufrance comme on plonge croyait-elle dans un grand magasin à Paris, se perdant à distance dans des rayonnages imaginaires d'autant plus beaux qu'ils étaient construits d'une grande part de ce rêve de Paris qui semblait bien lointain.
Alors Josiane avait fait des études. Elle avait réussi son brevet haut la main et l'institutrice, Madame Rovachon, femme forte, énergique et pieuse lui avait conseillé de continuer. Josiane avait bien senti cette envie de partir mais gardait au milieu de son cœur ce sentiment d'abandon de sa famille. Madame Rovachon fit donc le travail nécessaire pour faire accepter ce départ auprès des parents de la jeune femme ce qui, à l'étonnement de Josiane, se fit sans difficulté. Un dimanche matin, jour du départ de Josiane pour l'école normale, on vit même le père descendre la boîte à sucre du haut de l'armoire pour donner à Josiane un peu de l'argent mis de côté grâce aux ventes au marché. La boîte posée sur la table, dans le silence complet de la famille, contenait alors bien plus qu'un peu d'argent, elle contenait l'avenir de Josiane et sans doute aussi l'avenir de la famille et de la ferme. Le frère parti, la fille partant, ne resterait donc que la grande sœur déjà mariée et le petit frère bien trop jeune pour aider....



....C'était à la fin du mois d'août que Josiane arriva à Saint-Mars-la-Jaille. Elle n'entra pas tout de suite, ne profitant pas immédiatement de l'ouverture du petit portail qui donnait sur la cour. Elle regarda sa première école, celle où elle allait pour la première fois seule se voir confier des élèves. Elle fut surprise par la modernité du groupe scolaire, sa limpidité, sa franchise d'ouverture sur la rue. Elle trouvait que cela ressemblait aux belles villas qu'elle avait vues à Royan cet été. Elle regardait aussi le reflet des grands arbres dans les vitres hautes de l'école Sainte-Thérèse. Elle trouva qu'elle avait de la chance. Il lui faudrait envoyer une carte postale à sa famille et à Madame Rovachon pour montrer cela. Alors même que son pied en passant la barrière la faisait basculer enfin dans sa vie indépendante, un jeune homme fringant, aux lunettes d'écaille un peu trop grandes pour lui vint presque immédiatement dans une foulée pressée la croiser. Josiane crut d'abord après les salutations d'usage qu'il s'agissait du directeur de l'établissement ou d'un autre instituteur. Mais alors que ce dernier voulait à la fois aider Joisane à porter sa valise et reprendre sa voiture garée devant, il demanda d'une voix un peu fière comment Josiane trouvait son école. Tout tenait dans l'appui du possessif. Son école...
Josiane balbutia qu'elle était justement en train de l'admirer et à peine avait-elle fini sa phrase que le jeune homme lui indiquait qu'il en était l'architecte. C'était son premier vrai chantier. Il décida de faire visiter lui-même l'école à Josiane, à la fois pour profiter un peu de cette présence féminine mais aussi pour lui faire comprendre les enjeux structurels et fonctionnels d'un établissement moderne ouvert sur le monde et parfaitement bien conçu du point de vue de l'hygiène et de la qualité de la vie des enfants : air, soleil, espace. Ce petit discours un peu formaté fit sourire Josiane ce qui fit sourire à son tour Michel...



....Michel venait de livrer cette école. Ce chantier fut assez simple à mettre en place car son collègue l'architecte Henri Sherjal était un bon professionnel, droit et amical qui avait su partager avec le jeune architecte toutes ses connaissances. L'école Maternelle de Miramas était une école bien construite, bien marquée par sa modernité où là encore, dans un grand souci d'ouverture, un sens tout particulier des circulations les deux architectes avaient su livrer un établissement clair et solide qui était entré dans le budget de la ville. Michel aimait surtout ce point de vue sur la grande salle circulaire dont le mur en opus incertum et les grandes baies formaient un élément signifiant bien le rôle républicain et joyeux d'un établissement scolaire. Michel était tout particulièrement attentif aux enfants et à leur sensation depuis qu'avec Josiane ils avaient vu naître le petit Bastien il y avait déjà 5 ans. Et on s'amusait beaucoup à l'agence d'architecture de voir Michel se mettre accroupi pour imaginer les impressions d'un jeune enfant arrivant dans cette école !....
...Lorsque Michel apprit ce qu'il allait advenir de l'école de Gond-Pontouvre qu'il avait vu construire dans l'agence de Robert Chaume, il fut pris d'une grande tristesse. Il se rappelait bien l'architecte, sa discrétion et aussi sa volonté de modernité. Comment il avait choisi de faire une école moderne et belle avec des éléments préfabriqués chez Studal. Robert Chaume savait ce qu'il devait ainsi à son collègue Jean Prouvé et à son intelligence du métal. Bien évidemment, il n'était pas question ici de faire une école expérimentale, pas question non plus de faire un monument moderne par trop revendicatif mais il y avait dans la discrétion habile des deux architectes quelque chose de signifiant du mode de construction de l'époque, de la manière dont architectes, ingénieurs et fabrication industrielle savaient jouer ensemble la partition de la construction d'une France Moderne.
Car finalement c'était cette articulation entre tous les acteurs de la construction qui faisait la valeur exemplaire de cette école.
Alors si cette fierté devait tomber sous les pelleteuses, si l'école du Gond-Pontouvre et ses éléments métalliques devaient disparaitre, Michel ne pourrait aujourd'hui rien faire d'autre que de signer cette pétition, s'inquiéter du regard perdu de notre époque sur ce qui, aujourd'hui constitue un patrimoine.

8 commentaires:

  1. Voilà, c'est signé... et bravo pour cet article délicieux que j'ai d'autant plus aimé que le catalogue de la Manu m'a fait rêver quand j'étais gosse et que les images de petit Larousse était une source perpétuelle de découvertes !!!
    Quant à Prouvé, pas moyen de supporter qu'on puisse, d'un coup de pelleteuse, raser son oeuvre : certes, les problèmes d’isolation etc etc, mais on peut arranger cela, forcément et conserver ce patrimoine

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  2. Bonjour, avez-vous plus d'information sur ce bâtiment de Saint Mars-la-jaille et sur son architecte? merci d'avance.

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  3. Bonjour Clément,
    Malheureusement non. C'est pourtant un beau morceau qui devrait retrouver son auteur. Bien à vous.

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    1. Bonjour David,
      merci de votre réponse, j'en conclue que cette petite nouvelle est entièrement une fiction, qu'il ne se prénomme pas michel, qu'il n'a pas marié Josiane et qu'il n'a jamais travaillé avec Henri sherjal...
      moi qui croyais tenir quelques pistes. Cette Carte était-elle adressée ou vierge? merci encore pour vos réponses.
      bien cordialement.

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    2. Bonjour David.
      merci de votre réponse, j'en conclue que cette petite nouvelle est une fiction, que l'architecte ne se prénomme pas Michel, qu'il n'a pas marié Josiane et qu'il n'a jamais collaboré avec Henri Sherjal? moi qui croyais tenir quelques pistes ... Cette carte postale était-elle adressée ou simplement vierge? merci encore pour vos réponses.
      bien cordialement.

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    3. Oui ! Mais Sherjal est bien un architecte ! C'est toujours faute de vraie piste que j'aime inventer les miennes.
      Bien à vous.

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  4. Bonjour.
    Pourrait-on avoir quelques renseignements sur le gymnase dont la carte postale illustre l'article ?

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  5. euh...il n'y a pas de gymnase dans cet article...Désolé !

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